Une valse et un adagio.
Je n'ai pas une "culture de l'image animée" très développée. Je passe à côté de beaucoup de bons films. Et les meilleurs films, ce sont peut-être, ce sont parfois ceux où l'on ne passe pas un bon moment, ceux qui vous laissent avec des questions sans réponses, peut-être même sans mots. Avec un sale goût dans la bouche. Avec aucune autre solution que d'écouter l'Adagio pour cordes, Opus 11 de Barber, en boucle, comme pour espérer pouvoir prendre de la distance.
J'ai une un peu moins mauvaise "culture des faits historiques". Je ne peux pas prétendre ne louper aucun événement important, que ce soit vu par les vainqueurs, vu par les moins vainqueurs, les plus perdants ou carrément les oubliés. Et, on ne pense pas vraiment aux invisibles. Quant aux "meilleurs événements historiques", on les chercherait en vain. On ne les cherche donc pas. Pour être plus précis, plus sincère aussi, malgré tout, j'évite de prendre connaissance de tout. Dans vingt ou trente ans, si je devais encore vivre, j'espère que j'aurais le courage, ou simplement la décence de lire encore des livres, qu'ils soient électroniques ou papier, à prix unique ou à voler, ça n'a absolument aucune importance, sur les deux guerres d'Irak, les guerres d'Afghanistan, jusqu'au Pakistan, Yémen, Éthiopie, Somalie, etc. Des livres sur les camps et les refoulements...
Par un détour sans éclat particulier, un film s'est retrouvé sur mon disque dur. Un film d'animation. Un documentaire d'animation. Où la frontière entre fiction et non-fiction n'a aucun sens. Un film qui tient le mensonge en respect, à distance. Un sourire cynique, le mensonge reste volontiers un peu à l'écart, il s'en fout : le monde semble lui appartenir. Ce film c'est "Valse avec Bashir".
Il doit y avoir un fonctionnement bizarre à quelque part. On en arriverait presque à se demander si on ne fait pas des guerres dans le but de produire des films sur la guerre. Idée indécente ? Certainement. Dès qu'on introduit le mot guerre dans une phrase, on flirte avec l'indécence. On ? Je.
Et donc, un film. D'animation. Documentaire. Dont le sujet est le massacre de Sabra et Chatila. À deux moments, il est fait mention, à partir de cette histoire, de la deuxième guerre mondiale. Un journaliste israélien compare ce qu'il a vu en approchant les camps de Sabra et Chatila à une photo du ghetto de Varsovie. À un autre moment, le personnage principal, qui tente de reconstituer sa mémoire, parle avec un psychiatre. Celui-ci interprète la vision récurrente qui a remplacé dans la mémoire de ce personnage les souvenirs de sa participation indirecte à l'événement. Et il lui explique qu'un autre massacre, plus ancien, se trouve derrière, dessous : un camp de concentration nazi.
Et je me suis mis à penser à l'histoire humaine des quatre, cinq ou six derniers siècles. Une période. Arbitraire. Un vertige hallucinant, en mesurant bien le poids des mots. Le poids des morts. Un poids démesuré qui parcours les tréfonds de la civilisation comme les fleuves de l'enfer. Avec un tel héritage, multiplié par des milliards de folies sur deux pattes, avec des armes sans mesure... vous imaginez quoi pour aujourd'hui ? Pour demain ?
aiguiser la conscience
ne pas succomber aux pièges de la
performance
déjouer le bon sens
marcher avec lenteur
jamais au pas
jamais au pas
jamais
questionner tout et n'importe quoi
observer les réponses avec curiosité
et les abandonner
les abandonner
comme des offrandes à la poussière
et boire une bière.
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